ROSA, tango, par Jacques Brell
Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa, rosae, rosae, rosas, rosarum, rosis, rosis
C'est le plus vieux tango du monde,
Celui que les têtes blondes
Ânonnent comme une ronde
En apprenant leur latin.
C'est le tango du collège
Qui prend les rêves au piège
Et dont il est sacrilège
De ne pas sortir malin.
C'est le tango des bons pères
Qui surveillent l'oeil sévère
Les Jules et les Prospères
Qui seront la France de demain.
Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa, rosae, rosae, rosas, rosarum, rosis, rosis
C'est le tango des forts en thème,
Boutonneux jusqu'à l'extrême
Et qui recouvrent de laine
Leur coeur qui est déjà froid.
C'est le tango des forts en rien
Qui déclinent de chagrin
Et qui seront pharmaciens
Parce que papa ne l'était pas.
C'est le temps où j'étais dernier
Car ce tango rosa, rosae
J'inclinais à lui préférer
Déjà ma cousine Rosa.
Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa, rosae, rosae, rosas, rosarum, rosis, rosis
C'est le tango des promenades,
Des parcelles sous les arcades
Cerclées de corbeaux et d'alcades
Qui nous protègent des pourquoi.
C'est le tango de la pluie sur la coeur,
Le miroir d'une flaque sans amour,
Qui m'a fait comprendre un beau jour
Que je ne serais pas Vasco de Gamma.
C'est le tango du temps béni
Où pour un baiser trop petit
Dans ma clairière d'un jeudi
A rosi cousine Rosa.
Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa, rosae, rosae, rosas, rosarum, rosis, rosis
C'est le tango du temps des zéros,
J'en avais tant, des minces, des gros,
J'en faisais des tunnels pour Charlot,
Des auréoles pour saint François.
C'est le tango des récompenses
Qui allaient à ceux qui ont la chance
D'apprendre dès leur enfance
Tout ce qui ne leur servira pas.
Mais c'est le tango que l'on regrette
Une fois que le temps s'achète
Et qu'on s'aperçoit tout bête
Qu'il y a des épines Rosa.
La curiosité est l'une de caractéristiques sûres et les plus permanentes d'une intelligence vigoureuse. —S.J.